Une réaction à la situation catastrophique rencontrée par les auteurs-illustrateurs

Publiée sur le groupe fb Economie solidaire de l’art

la fin d’une espèce ? la fin d’un monde ? disparition des lucioles
Les agriculteurs, qui ont vu leurs conditions socioéconomiques se dégrader de façon importante ces dernières décennies, viennent d’obtenir un geste du gouvernement : 10 points de baisse sur les cotisations et une année blanche pour certains (du fait de baisses significatives de revenus). Personnellement, je me satisfais de cette décision. J’ai pour les agriculteurs au moins autant de considérations que pour ceux que je fréquente quotidiennement, les auteurs, les créateurs. Ce sont d’estimables personnes. Bien des choses les rapprochent. Et l’engagement dans ce qu’ils entreprennent n’est pas la moindre de ces choses. Une question posée récemment sur un ton qu’on aurait vite pris pour ironique ou humoristique disait ceci : les artistes mangent-ils des pâtes au beurre ? D’autres ont vite suivi : les artistes sont-ils snobs ? les artistes sont-ils flemmards ? les artistes sont-ils des poivrots ? Je me suis dit, au moins autant qu’ailleurs, parce qu’au fond, il n’y a rien qui justifie de les distinguer du reste de la communauté des humains, rien. Rien si ce n’est le poids de la culpabilité qui vient du fait d’avoir fait ce choix difficile d’une activité dont le ressort premier n’est pas l’argent – Catherine Huve parle des métiers du don – ; une vie faite d’incertitudes, inévitablement, de questionnements sans cesse renouvelés, d’interrogations sans fins,… Pourquoi donc cet engagement dans quelque chose à la fois d’aussi estimable et d’aussi vain, d’aussi essentiel et d’aussi futile? porteur d’un sens aussi délicat et fragile du productif, de l’utile, d’aucuns diraient d’une “utile ignorance”. Pas sûr à la réflexion qu’on y trouve souvent du beurre dans ces pâtes de bien mauvaise qualité. Contrairement aux agriculteurs avec lesquels ils partagent une même situation de détérioration sans précédent de leurs conditions de revenus, les auteurs se sont récemment vus signifier une augmentation sans précédent des taux de cotisations sur leurs bien piètres revenus. Nous passerons rapidement sur les errements de leur putain de caisse de retraite qui jamais n’aura hésité à faire preuve d’irresponsabilité quant à l’impératif de bonne gestion de ces cotisations, mais nous voici désormais devant un hiatus

les auteurs vont, pour nombre d’entre eux se voir contraints d’arrêter
d’autres feront le choix, encore et malgré tout, de continuer

Il n’y aura nulle route bloquée, nulle remorque de purin déversée devant une préfecture, aucun festival bloqué. De guerre lasse, ils seront nombreux à se résigner, à abandonner, à ruminer leur bien triste sort, mais silencieusement en portant la culpabilité du choix de ce métier qui n’en est pas vraiment un ; qui n’est pas vraiment un choix non plus au demeurant. Ils se le diront en particulier occupés à faire un boulot qu’ils n’ont pas choisi, non qu’ils éprouvent quelque mépris à son endroit, mais il faut bien pouvoir s’acheter ces putains de pâte de mauvaise qualité. Qui plus est sans trop se plaindre, sans trop non plus montrer cette dèche qui inéluctablement les affecte. Ne faut-il pas garder la face pour continuer à soutenir à qui veut bien entendre que c’est cool, que les parents n’ont pas eu tort de leur permettre de vivre pleinement ce choix difficile mais souverain de vivre pleinement sa vie.

C’est ainsi dans le silence assourdissant de leurs contemporains que cette inéluctable disparition se trame. Le paradoxe disait Katerine il y a peu, c’est que, porteurs de la puissance de l’image et du texte, les auteurs ont réussi ce tour de force de se rendre inaudibles et invisibles. On pense à Pasolini et à la frêle lumière des lucioles. Comme l’écrit Giorgio Agamben, “c’est désormais les « conseillers perfides » qui s’agitent triomphalement sous les faisceaux de la grande lumière (télévisuelle, par exemple), tandis que les peuples sans pouvoir errent dans l’obscurité, telles des lucioles. Faut-il continuer à penser ce rapport entre les puissantes lumières du pouvoir et les lueurs survivantes des contre-pouvoirs ou faut-il désespérer” écrit Pasolini ?

La conclusion de W. Benjamin ? “Il faut organiser le pessimisme, le déclin n’est pas la disparition”.

Dont acte.

greg greggory

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